Fabrice Selingant, poète

Il réside en France.
Son poème lauréat « Même si chagrin, tu crois tant et tant en moi » évoque la douloureuse situation d’un rescapé d’un « sale virus »… Différent jusqu’à quel point ? En plein Covid-19, le poème a un écho tout particulier.

 

« Voir en chaque instant l’humanité toute entière. »
Fabrice Selingant, Prix Coup de coeur La Différence – Poésie 2020

 

Pourquoi écrivez-vous ?
J’écris pour poser les mots sur les choses, comme le douanier Rousseau, je voudrais dépeindre le monde, tout en nuances, tout en beauté, posé, calme et splendide, voir en chaque instant l’humanité toute entière.

 

Vous étiez-vous déjà penché sur la notion de différence avant ce concours de poésie ?
Pour répondre à cet question, cet autre poème qui dit cela :

 

Quelle est la couleur de nos rêves ?
Quelles en sont les fragrances
Qui nous poussent au bonheur ?
Quels feux, quelles flammes,
Quelles foudres, quelles lumières,
Dans la nuit où ronfle la cheminée
Du corps assoupi tel une chienne d’affects
Le souvenir d’odeurs par son secret s’impose
L’alchimie du ronronnement appris de l’humain frère
Comment se forme ta pensée complexe ?
Quel vocabulaire de tes yeux aimantés ?
Quelle aire comment s’articule-t-elle ?
Quelle grammaire des gestes, des tiens, des miens ?
Quels signes, quels codes, quels chiffres ?
Quelle conjugaison du visage, des courbes qui font sens ?
Sans mêmes outils et même motricité des doigts, malgré les différences
Qu’est-ce qui fait que s’acquièrent malgré tout
Un langage pour se comprendre, s’entendre, se lier.

Fabrice Selingant

 

Avez-vous une actualité littéraire (publication, blog) ou cette nomination est-elle une première pour vous ?
Cette nomination est une première, n’ayant jamais participé au moindre concours d’art poétique. Cela fait longtemps que j’écris, et me publier est longtemps resté sans véritable enjeu ; je l’avais déjà fait, plusieurs fois, il y a fort longtemps, et je n’étais pas pressé, mon expression trouvait voix dans les réseaux sociaux et chez mes amis. Désormais, cela va venir, mes amis me pressent et je le dois à mes mots.

 
Fabrice Selingant, invité de la visioconférence « De l’inspiration poétique, de l’éthique et du désir d’acceptation » du 24 janvier 2021. Voir la vidéo.

 

Cette année. les poètes devaient introduire dans leur premier vers un des trois adverbes suivants : même si, encore ou peut-être, révélateur d’une perspective de la notion de différence. Fabrice Selingant aura opté pour « Même si »…

 

 

 

Même si chagrin, tu crois tant et tant en moi

 

Même si, chagrin, tu crois, tant et tant, en moi
Un deuil venu trop tôt, car je suis revenu
Guéri, peut-être, mais à jamais, le cœur nu
La déférence, mais pour moi, suis-je le roi ?

Le corps peut se vêtir de cent mille oripeaux
Des fringues de luxe, mes cris sont en guenilles
Tendres frissons, ne sont que d’ombres de charmille
Ce sale virus, las, n’aura pas eu ma peau.

J’ai repris le chemin du travail sans entrain
Apaisant l’épreuve, l’absence et la tristesse
Enlaçant mon trouble, ma simple politesse
Des examens, où tout va bien, toi, tu m’étreins.

Suis-je pareil ou différent, autre ou semblable ?
Embrassant le malheur, qui fait coupable d’être
D’autres manquent à l’appel, âmes de salpêtre
Mon existence lasse est un château de sable.

Curares, poisons des muscles, tétanisés
Kétamine, drogue de feu, aux rêves fiel
J’attends toujours, le prompt retour, du goût du miel
Esprit de caoutchouc, folie vulcanisée.

Je n’en dors plus que d’une oreille et que d’un œil
Le lit est ma tombe, plus scellée qu’un cercueil
S’écrivent des mots, simples bonds d’un écureuil
Tant de lignes sont-elles dignes d’un recueil ?

Au ciel d’étoiles, parmi des danseuses fières,
Ô magie du langage, les universaux,
De signes d’alchimie, comme autant de sursauts,
Moi, qui suis parmi vous, je reste de poussière.

 

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