« Pour que plus jamais »

 

Vivre la guerre et ses conséquences dans son sourd et brutal quotidien. Pour beaucoup, plus le temps de penser, parfois essayer d’oublier, juste survivre. 
Nulle idéologie, nul désir de renommée, nuls retours, ils ont écrit comme ils ont respiré, jusqu’au bout, reflexe ancré et témoignages.

 

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Wladyslaw Szlengel (1912 – 1943)

Les textes polonais de Wladyslaw Szlengel (1914-1943) « passaient de mains en mains et de bouches à oreilles. Ils étaient écrits dans la fièvre de la passion, alors que se déroulaient des événements qui nous semblaient les derniers du siècle. Ils interrogeaient nos sentiments, nos pensées, nos besoins, nos souffrances et nos combats implacables pour chaque minute de vie supplémentaire. J’ai récité certains de ces poèmes dans le ghetto à l’occasion de réunions ou de petites manifestations pour collecter de l’argent […]. J’avais douze ans. »
Halina Birenbaum, rescapée du Ghetto de Varsovie. Source

 

Le ghetto de Varsovie était le plus important ghetto juif au sein des territoires d’Europe occupés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

La gare de Treblinka – Poème de Wladyslaw Szlengel

 

Sur la ligne Tluszcz -Varsovie
qui part de Warschau-Ost,
prendre le chemin de fer
et c’est tout droit….

Le voyage dure parfois
cinq heures trois quarts,
ou bien il dure parfois
une vie entière, jusqu’à la mort…

La  gare est minuscule,
avec trois sapins,
un simple écriteau :
ici gare de Treblinka.

Il n’y a ni guichet,
ni de porteur de bagages
ni même pour un million
de billet de retour…

A la gare personne n’attend,
n’agite son mouchoir,
seul  accueil : le silence en suspens
et un vide profond.

Se tait le signal d’arrêt
se taisent les trois sapins,
se tait l’écriteau noir,
… gare de Treblinka.

Seul pendouille depuis longtemps
(sûrement une réclame)
un vieil écriteau délabré :
« Cuisinez au gaz. »

 

Treblinka, l’un des centres d’extermination de l’Aktion Reinhard, situé à proximité du village du même nom, à 80 km au nord-est de Varsovie, non loin de la ville de Malkinia.

 

Avoir survécu

 

Guerre du Rwanda. 1994.
Yolande Mukagasana, traquée sur sa colline après l’exécution de son mari à une barrière et le massacre de ses trois enfants au bord d’une fosse commune, trouve un paquet de cigarettes vide et rédige une courte chronologie des disparitions :

« Ma vocation d’écrivain s’interrompt provisoirement. Mais je sais qu’un jour j’écrirai quelque chose. Si j’échappe à la mort. »

Source Yolande Mukagasana, La mort ne veut pas de moi,  Fixot, 1997, p. 127.

 

Extrait du poème « Folie » de Yolande Mukagasana (Rwanda)

 

(…) l’absence des victimes est celle des bourreaux
l’absence des bourreaux est celle des victimes
nous avons toute la vie en commun
drôle d’espèce que l’humain

Moi j’embrassais le vent qui emportait mes enfants
je voulais l’embrasser pour les sentir
les serrer très fort dans mes bras
pour me dire que plus rien ne pourra me les enlever

Je les suivrai jusqu’au delà de l’au-delà
nous resterons ensemble pour l’éternité
cette éternité que moi seule je comprends
car mon éternité est aussi mon présent

le vent soufflait sur mon corps
je voulais être nue pour sentir sa fraîcheur
j’avais chaud d’être dans l’irréel du réel
je transpirais fort de voir l’irréel de ma vie

J’aurais aimé que ce vent me chatouille
pouvoir rire, comme antan, dans ma bêtise,
et rire de ma sottise de penser que le mal est fort
pouvoir encore rire de moi-même.

Rire de bonheur dans un malheur trop fort.
Je dois sortir au plus vite
de ces souffrances qui me stérilisent
qui anéantissent mon corps et mon âme
quand le monde pense que je vis (…)

 

Landay (de femmes) des vallées pashtounes (Afghanistan)


« Pour la première fois, il prononça le mot landay. Il dit comment il avait recueilli dans les vallées pashtounes, accompagné de sa sœur, ces chants si brefs qu’ils ne comptent que deux vers de neuf et treize syllabes. Il en donna une suite en transcription française.

Je n’avais jamais rien entendu d’aussi fulgurant : des plaintes qui étaient d’implacables défis, des sanglots qui crachaient du sang, des désirs fous et piégés, des destins inhumains déjà voués à la mort… »

André Velter, L’éclaireur de minuit, postface de l’anthologie Le suicide et le chant : poésie populaire des femmes pashtounes par Sayd Bahodine Majrouh. Éditions Gallimard (Connaissance de l’Orient), 1994. p. 112-113.

 

Le landay est une forme poétique spécifique à la culture pashtoune et chantée uniquement par les femmes. Comme beaucoup de formes traditionnelles de poésie, le landay comporte des règles de longueur, de rimes et de thème. Le landay remonterait au 17e siècle avant notre ère, se transmet et se modifie à l’infini, à la manière des haikus japonais.

 

« J’ai une fleur à la main qui se fane, / Ne sais à qui la tendre sur cette terre étrangère »

 

Landay collecté par Sayd Bahodine Majrouh (1928-1988).

 

Pour la paix

 

Extrait poème Yuya Karrabura, Alice Eather (1988 – 2017)
Poétesse, enseignante australienne, de mère arborigène et de père descendant des bagnards du « Second Fleet ». Récipiendaire du Northern Territory Young Achiever Awards pour l’environnement / Australie.

 

« Je ne pointerai pas mon doigt pour blâmer, car lorsque nous commençons à nous blâmer les uns les autres, nous ne faisons pas de place à l’évolution des uns et des autres.

Nous devons garder le feu allumé, avec de la cendre sur nos pieds et du charbon dans nos mains.

Apprenez aux « budarukka », aux jeunes, à vivre côte à côte, car demain, quand le soleil se lèvera et que nos feux se seront éteints, ce seront eux qui les rallumeront.

YUYA KARRABURA.

Les flammes, nous, seront leur guide. »