Morgan Le Toullec, poète

Morgan Le Toullec (Pays de La Loire, France) est l’auteur du poème lauréat du Prix Spécial / Coup de cœur  de cette cinquième édition.

 

La finesse et le partage

 

« Pour moi, la poésie, c’était avant tout une musique. Une musique du pauvre, une musique sans instrument. »

 Morgan Le Toullec, Prix spécial / Coup de coeur (Catégorie Adultes) – La Différence 2022

 

 

Quel est votre nom d’auteur et votre pays de résidence ?

Je m’appelle Morgan Le Toullec, je vis en France, à Nantes.

 

 

Depuis quand écrivez-vous ?

J’ai commencé à l’adolescence, j’écrivais des nouvelles de temps à autre. Je n’en ai conservé aucune. Vers la trentaine, je me suis mis à écrire plus sérieusement, j’ai rempli pas mal de cahier. Dans l’ensemble ce n’était pas très bon. J’écrivais trop vite, le style était bâclé.

La poésie m’a obligé à prendre mon temps, je réécrivais beaucoup. Pour moi, la poésie, c’était avant tout une musique. Une musique du pauvre, une musique sans instrument. J’y consacrais beaucoup de temps, parce que je voulais que ça sonne. Trop sans doute. On peut peaufiner un dessin pendant longtemps, mais si on n’y prend pas garde on peut tout gâcher. Parce qu’il est surchargé, parce qu’on a perdu en cours de route l’intensité qui existait dans les premières esquisses. Maintenant, je suis plus rapide. Même si pour moi, c’est toujours de la musique, voire de la sculpture, la poésie, c’est surtout autre chose, quelque chose que j’aurais bien du mal à définir, mais que j’essaie de ne pas perdre de vue.

 

Pourquoi la poésie ?

Dans ma vie, il m’est arrivé de faire des métiers pénibles ou ennuyeux. Quand je jonglais avec des vers, dans ma tête, ça m’aidait à tenir. Rien que pour ça, je suis heureux d’écrire de la poésie. Mais il y a aussi une autre raison, plus profonde.

Mon père était poète, il s’appelait Alain Le Toullec. Il a écrit Les gosses de ma rue et Chansons pour Morgan. Il est mort quand j’avais onze ans. Il y a donc probablement une histoire de reconnaissance, de volonté d’être encore en lien, quelque chose dans ce goût-là. Il était bien meilleur que moi, il a eu un prix à l’âge de quatorze ans. Moi, j’étais différent. Je me souviens avoir été interrogé en classe, en CM2, et ne pas savoir par cœur un poème de mon père que l’enseignante voulait nous apprendre. Il avait une petite notoriété, je suis étonné de voir qu’actuellement ses livres sont encore en vente sur des sites comme Amazon. Tout ce qu’il me reste de lui, ce sont ses recueils et quelques coupures de journaux. Mais il m’a aussi transmis quelque chose.

Quelque chose qui aide à transcender la vie. Même si on souffre parfois à cause de la routine, de l’ordinaire, de la médiocrité. Ça peut sembler sombre, ce que je dis, mais ça ne l’est pas tant que ça : une personne seule se met à écrire ou à peindre parce qu’elle éprouve l’ennui, au départ. Puis elle se met à faire des voyages intérieurs, à être habité, tout prend une toute autre texture.
Il m’a donné des armes pour faire de l’ennui un moteur.
Si en apparence je ne vis rien d’extraordinaire, au moins je ne traverse pas la vie avec un sentiment de vide, même si, trop souvent, comme beaucoup de gens, il m’arrive de perdre mon temps devant un écran. Il y aura toujours un moment où j’aurai un sursaut, où je me mettrais à faire autre chose.

 

Avez-vous déjà été publié ?

Non, je n’ai jamais été publié. J’avoue avoir essayé dans quelques maisons d’édition, sans succès.

 

La forme et le fond subtil

 

Un calligramme qui débute avec la deuxième définition de la différence selon le dictionnaire. Ici, l’esthétique est présente dans le fond et la forme pour décrire le cauchemar d’un monde sans différence auquel échappe in extremis le radeau du poète.

 

 

L’océan et le désert dans le sablier

 

La différence entre trois et deux est un, c’est notre univers, l’une des bornes de notre banalité.
Mais, dans ses nombres triangulaires, un autre Pythagore verra la pierre angulaire
D’un monde à peine imaginé par la pythie, et il le démontrera petit à petit.
Eux, ils parleront toujours la même langue, avec la même violence,
Avec l’égo en plein big bang et le masque de la bienveillance.
Nous, on verra soudain, enfin, se lézarder notre réalité.
Ce sera le début de notre rêve et de leur cauchemar.
On voguera enfin vers un nouveau phare.
Sous ce soleil d’amour aride,
Ce soleil sans flamme
Qui creuse nos rides
Et notre vague à l’âme.
Un radeau dans le sablier
Pour ne pas s’échouer sur les récifs,
Sur les mêmes récidives, les mêmes récits.
La différence entre le désert et l’océan est un radeau,
Quand les atouts dans nos mains ne sont plus que du sable,
Quand l’espoir d’être aimé devient friable, quand tout est fini, rideau.
Quand le désert de notre désir nous sidère, quand on jette notre cœur dans la mer.
Quand la différence entre l’amour et son chagrin n’est plus qu’un sentiment de futilité.
Quand tous les souvenirs s’envolent, grain après grain, quand l’espoir n’a plus aucune utilité.

 

 

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Pour aller plus loin…


Retrouvez le poème de Morgan Le Toullec qui sera déclamé lors de l’exceptionnelle visioconférence qui aura lieu le 5 février 2023.

Egalement dans le recueil des lauréats et nominés publié et offert en juillet 2023.